Six siècles d'histoire: De la Chapelle Saint Jean du Collège de Dormans à la Cathédrale des Saints Archanges de la Métropole Orthodoxe Roumaine d’Europe Occidentale et Méridionale

Lové au centre du quartier latin, au pied de la montagne sainte Geneviève, entre la cathédrale Notre Dame, l’église saint Julien le Pauvre et le Clos des Bernardins, face à la Sorbonne, au Collège de France et à l’Abbaye de Cluny, bat le cœur de la spiritualité orthodoxe roumaine d’Europe occidentale dans un sanctuaire symbole de sa foi dans la capitale de la France. 

De Charles V de France à Charles Ier de Roumanie

I.    La période française.

Érigée au XIVe siècle, la chapelle du Collège de Beauvais appartenait au Collège de Dormans fondé par le cardinal de Dormans qui devenu cardinal Jean de Beauvais en 1359, lui donna son nom. A la mort du cardinal, Charles V prit le Collège sous sa protection et posa lui-même la première pierre de la chapelle, le 30 janvier 1374.

L’architecte du roi Charles V, Raymond du Temple, qui avait déjà œuvré au Louvre, dirigea les travaux, dont l’inspiration de la Sainte Chapelle est évidente par la nef uniaue, la voûte lambrissée et la flèche.

Parmi les élèves prestigieux de ce Collège, on compte Antoine Arnauld (1612-1694), le ‘‘grand Arnauld’’ des jansénistes et Isaac le Maistre de Sacy, le théologien de Port Royal des Champs.

La chute des jansénistes ne tarda pas à être suivie de celle des jésuites interdits en France par l’Édit Royal de 1764, entrainant des modifications statutaires qui incorporèrent le Collège de Dormans dans la nouvelle communauté étudiante de Louis-le-Grand. Le Collège ainsi que sa chapelle finirent par être vendus.

La Révolution et son cortège d’horreurs laissèrent la chapelle dans un état lamentable. Le Collège devint un lieu public, avant de devenir plus tard le siège militaire d’ateliers de confection d’uniformes sous Napoléon (1807) et d’être transformé en caserne.

Le retour de la monarchie permit un court répit et le Collège de Beauvais amorça un renouveau de 1815 à 1830, date à laquelle la chapelle elle-même fut affectée à un usage militaire.

En 1865, l’achat de la Chapelle par les Dominicains la sauva de la fureur des démolisseurs. D’importants travaux furent entrepris, sauvetage de la flèche qui avait été saccagée, installation d’autels de pierre, remplacements des vitraux, travail dû au maître verrier Léon Tournel. Parmi les généreux donateurs, le prince-abbé Lucien Louis Bonaparte offrit entre autres le grand vitrail de la façade (qui se trouve au-dessus de la porte).

Le décret du 29 mars 1880, ordonnant la dispersion de toutes les congrégations non autorisées, en chassa les Dominicains, qui furent évacués le 5 novembre 1880. 

Le dépérissement de ce haut lieu de spiritualité  devint inéluctable.

Les bâtiments furent acquis par deux entrepreneurs immobiliers français qui après en avoir fait un dépôt de marchandises, les revendirent à la Couronne de Roumanie qui s’en porta acquéreur le 5 septembre 1882 et sauva de ce fait ce sanctuaire historique, qui depuis sa fondation par le roi de France Charles V, avait vécu tant d’événements spirituels et historiques. 

II.    La période roumaine.

En 1839, s’était constituée à Paris la « Société des Étudiants Roumains de Paris », qui en 1845 devait avoir pour président Alphonse de Lamartine, qui après son voyage d’Orient, était devenu le fervent défenseur des chrétiens massacrés par les Turcs. 

Les révolutions nationales de 1848 et en particulier celle à laquelle avaient participé les Roumains firent rapidement grossir le flot de réfugiés et d’intellectuels roumains venus à Paris.

Dès 1853, une première communauté orthodoxe roumaine s’était donc formée sous la direction de l’Arch. Josaphat Snagoveano (1797-1872), figure religieuse et politique, emblématique de cette époque, se réunissant dans un appartement transformé en lieu de culte, rue Racine, dans le Ve arrondissement. C’est à cette même adresse que commença à paraître Buciumul (Le Clairon), premier journal roumain de France. 

En 1856, l’Arch. Josaphat fut l’un des signataires du mémorandum à Napoléon III, en tête aux côtés de N. Golescu, de J. Philipescu, de G. Cantacuzène, de P. Ghica et autres, demandant à l’empereur de réunir les Roumains en un seul état et suggérant d’y placer un prince issu « d’une famille souveraine amie de la Roumanie ». L’Arch. Josaphat s’endormit à l’âge de 75 ans et fut inhumé au cimetière de Montparnasse (18em div. 1er section), ou repose le Métropolite Visarion, l’Évêque Theophil, le Père Vasile Boldeanu.

Cette première chapelle orthodoxe roumaine s’avéra rapidement trop petite pour accueillir tous ses fidèles ; il fallut envisager l’achat d’une église. 

Le 5 septembre 1882 le roi Charles Ier de Roumanie, fut confié l’achat de la chapelle du collège de Beauvais à son ambassadeur Michel Phérykides. 

Après les importants travaux de restauration, la chapelle ayant été antérieurement transformée en dépôt, il fallut adapter le sanctuaire au culte orthodoxe. La responsabilité du transfert de l’église de la rue Racine à la rue Jean de Beauvais, échut au Père Jean Severin qui supervisa les travaux. On dota le sanctuaire d’une originale iconostase néogothique s’harmonisant avec l’architecture générale, d’un mobilier sculpté et d’icônes offertes par de grandes familles roumaines. 

Le 31 mai 1892, eut lieu la consécration par l’évêque Inochentie Ploieşteanul, plaçant cette église orthodoxe sous la protection des Saints Archanges Michel, Gabriel et Raphael, traditionnels protecteurs des pays roumains, ainsi que de celle de saint Jean l’évangéliste auquel, l’église avait été autrefois consacrée (1380). 

Les saints Archanges sont représentés sur plusieurs icônes, dont une magistrale en argent sur l’iconostase ainsi que sur la mosaïque de style byzantin du tympan.

De ce moment à la seconde guerre mondiale, l’église des saints Archanges fut desservie par nombre de prêtres et d’ecclésiastiques de valeur et de renom, auteurs d’ouvrages théologiques, dont beaucoup accédèrent ensuite à l’épiscopat en Roumanie.

L’issue de la seconde guerre mondiale, l’occupation de la Roumanie par les Soviétiques et l’installation du régime communiste, causèrent d’irréparables dommages et entrainèrent de tragiques conséquences pour la vie de l’Église en général. L’Église des saints Archanges qui devint le foyer de résistance spirituelle contre l’oppression athée. Rapidement, l’Église devint celles des réfugiés et de l’exil, qui lui imprimèrent un sceau dont elle reste  à jamais marquée. Dès 1948, à la mort fort suspecte du Patriarche Nicodème, le régime communiste tenta de récupérer l’Église de Paris pour faire un musée et ne cessera de poursuivre ses manœuvres par le biais de son ambassade, de ses agents de la Securitate en soutane, par menaces, procès, chantages et intimidations. Seules, de très fortes personnalités pouvaient faire front à cette pression permanente. Ce fut le cas de deux figures exceptionnelles, le Métropolite Visarion et le Rév. Père Vasile Boldeanu. Grande figure de l’Église roumaine, condamné à mort par les communistes en 1946, Mgr Visarion (Puiu) (1879-1964) arriva en France à Paris en 1949, et en tant que métropolite, fonda et organisa le Diocèse Orthodoxe Roumain d’Europe Occidentale avec siège à Paris, l’Église des saints Archanges devenant cathédrale métropolitaine (l’Association pour la Pratique du Culte Orthodoxe Roumain - APCOR qui administre encore aujourd’hui l’Église, a été fondée en 1948). La rupture avec l’Église mère, prisonnière du régime communiste était consommée. 

En 1957, le Rév. Père Vasile Boldeanu, lui aussi condamné à mort par le régime communiste, accepta la charge de supérieur de la communauté roumaine et ce jusqu’en 1985. Figure héroïque d’un prélat exemplaire, consumant ses forces morales et physiques au service de l’Église et à la défense de l’honneur national dans des procès iniques suscités par le régime communiste allié en France à des forces plus ou moins occultes. Devenu une figure nationale de l’exil, le Rév. Père Vasile Boldeanu fut toujours entouré de fidèles compagnons qui surent l’aider dans sa mission. A côté d’une foule plus anonyme, une pléiade d’intellectuels, d’artistes, de personnalités de tous les horizons, ont prié dans cette église : Le roi Michel, la reine Anne, la princesse Margarita, l’écrivain Virgil Gheorghiu, connu pour son roman La vingt cinquième heure, devenu prêtre en cette même église, l’historien des religions Mircea Eliade, qui fut conseiller paroissial, l’académicien Eugène Ionesco qui sut si bien intervenir pour la défense de cette église, le philosophe Emil Cioran, le père de la sculpture contemporaine, Constantin Brancuşi qui y fut chantre, le compositeur Georges Enesco, l’ingénieur de l’aéronautique, Henri Coanda, pionnier du moteur à réaction, Elvire Popesco qui charma les scènes parisiennes etc. - toute une lignée de représentants de l’authentique culture roumaine prenait la relève des personnalités des  générations d’avant guerres.

En 1998, l’Église des Saints Archanges quitta la juridiction canonique de l’Église Orthodoxe Russe en Exil et se plaça de 2000 à 2009, sous la juridiction de Mgr  Nathaniel, Archevêque de Detroit et de l’Épiscopat Orthodoxe Roumain d’Amérique, qui avait succédé à Mgr Valerian Trifa. Durant cette période, le Rév. Père Petre Popescu de Montréal fut le Vicaire de l’Église des saints Archanges (2000-2003) puis le Rév. Père Gheorghe Calciu Dumitreasa entoura la communauté de sa bienveillance pastorale. La fin du régime communiste en Roumanie, permit de renouer des liens avec l’Église mère.  

En 2004 le Rév. Père Constantin Târziu (fils spirituel de l’Archiprêtre Mitré Vasile Boldeanu, arrivé en France en 1980), a été nommé supérieur. Ainsi, d’importantes cérémonies religieuses eurent lieu dans l’ancienne cathédrale du métropolite Visarion avec la participation des évêques de Roumanie. Puis ce fut l’ordination épiscopale de Mgr Marc Nemţeanul (2005), comme évêque vicaire de la métropole d’Europe occidentale et méridionale, par le Métropolite Daniel de Moldavie, futur patriarche. 

En 2007, le 125e anniversaire de l’acquisition de l’Église donna lieu à des grandes festivités. Enfin la reconnaissance tant par l’Église mère que par le gouvernement roumain des torts et des souffrances causés à cette communauté leva tous les obstacles à la réconciliation et à l’union.

Le 10 mai 2009, date symbolique par excellence où les Roumains fêtent la trilogie de l’intronisation du roi Carol Ier, de l’Indépendance Roumaine et de la création du Royaume de Roumanie, les assemblées générales extraordinaires des Associations votèrent à l’unanimité le passage sous la canonicité du Métropolite Iosif, Métropolite de l’Église Orthodoxe Roumaine d’Europe Occidentale et Méridionale, avec la bénédiction de Mgr Nathaniel des États Unis. 

Ainsi, après 60 ans de séparation, l’Eglise des saints Archanges, Cathédrale de l’Eparchie Orthodoxe Roumaine d’Europe occidentale du Métropolite Visarion (1949) est devenue la Cathédrale métropolitaine  du Métropolite Iosif qui lui succède (2009).

Le 12 juillet 2009, entouré de Son Eminence le Métropolite Iosif et de métropolites et évêques venus de Roumanie, des Etats Unis et d’Europe et d’un grand nombre de prêtres, au milieu d’une foule de fidèles, le nouveau patriarche de Roumanie, Sa Béatitude Daniel, a reconsacré l’autel tout juste restauré et y a déposé les saintes reliques des premiers  martyrs morts en terre roumaine.

R.P. Jean BOBOC